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Par Le Préfet, le jeudi 18 octobre 2012

J'AI REÇU LE PRIX NOBEL DE LA PAIX... et c'est entièrement mérité.

À moi ! Enfin ! Moi qui n'ai jamais tué le moindre allemand, ni gazé le plus petit vietnamien, ni même exécuté aucun algérien – fut-il malencontreusement de l'OAS.

Moi qui n'ai pas tué d'argentin, ni de libanais, qui n'ai, encore moins, lapidé aucun irakien, ni kalashnikové aucun marseillais, sans compter que je n'ai découpé aucun nègre en rondelles, fussent-elles petites ; je n'ai pas non plus massacré Khadafi, ni aucun libyen malgré les facilités qu'on me fit ; je n'ai, de plus, tué aucune afghane à l'épilation douteuse, ni tiré dans des émeutiers tunisiens ; je n'ai scalpé aucun palestinien, ni ne leur ai arraché leur foulard pied de poule, ni même osé protester contre ce crime au bon goût (je ne suis pas Jean-Paul Gauthier bien que je voue un culte à la marinière).

La constance avec laquelle j'ai résisté à tous les petits plaisirs du monde moderne m'épate toujours un peu plus ; et voici qu'enfin on récompense la force de mon abstinence par le plus glorieux des prix : LE PRIX NOBEL DE LA PAIX, que j'ai, vous en conviendrez, largement mérité. Ah, la liste est longue des tentations auxquelles je n'ai pas succombé ! (j'y reviens, parce que j'en reviens encore pas !) Hello Nelson ! Comment vas-tu... 'yau d'poil... Pas de manière entre nous... on a le même diplôme, touche z'en deux... on s'appelle et on s'fait la réunion des anciens... ça pose, non ? Bien sûr je ne suis pas le seul a avoir reçu le prix ; mais, comme vous l'aurez compris, je ne suis pas violent, je n'éliminerai pas la concurrence. Car qui que c'est que l'Union Européenne ? Au fin fond, hélas, c'est vous tout autant que moi, en gros les gens qui y habitent, y sont nés, voire même s'y déplacent de camp de caravane en camp de tente, jusqu'aux camp de couettes puis aux cancoillottes en passant par la Franche Comté. Tout le monde l'a le prix de vertu, même les riches !

Il est un détail cependant qui me turlupine. La remise du prix et du chèque qui l'accompagne, se fait en grandes pompes à Stockolm ; et l'heureux bénéficiaire prononce alors un discours que d'ingénieux interprètes traduisent dans toutes les langues onusiennes reconnues par le concierge de la Tour de Babel.

En l'espèce, qui va donc prononcer le discours ?

Si on désigne un des chefs d'état membre, la concurrence qui va s'ensuivre, si l'on en juge par leur sens aigu de l'arrivisme, risque de déclencher de belliqueux assauts de pacifisme. Il serait triste alors de voir, sur les velours rouges du palais Nobel, s'effondrer Angela en larmes, persuadée que, si elle n'a pas été choisie, c'est parce qu'elle n'est pas assez sexy. Scène pathétique qui me fendrait le coeur à coup sûr. Reste alors le choix du quidam. Le hasard faisant bien les choses, on aurait sur l'estrade, l'appareil dentaire se prenant dans les mailles du micro, un enfant vaguement blond, mais pas trop, d'une douzaine d'années, récitant un texte pontifiemment écrit par Angela. Le tout s'accompagnerait d'un lâcher de colombes, qui, à ce moment là nous l'espérerons tous, flanquera une bonne grippe aviaire à tout ces crétins, gamin y compris, une grippe venant de Chine comme chacun sait. Entre ces options d'une prévisibilité confondante, une large gamme de possibilités s'offrent à nous, toutes plus insatisfaisantes les unes que les autres. Un discours de Ribéry ? Une déclamation par un aveugle traduit par un sourd et muet ? Ou l'inverse ? La roucoulade d'une blanche colombe ? Mais alors ? Dans une cage ou attachée à son perchoir ? Un mainate un peu vulgaire ? Un vendeur de charbon et d'acier qui parlerait de nos origines ? Un Romain ? Un artiste ?

Ne soyons pas ridicules, une seule solution s'impose. Et cette solution c'est la logique même qui nous la dicte. Les cacochymes de Stockolm se souvenant de leurs heures de gloires enrôlés presque de force dans la Waffen SS, s'extasient sous penthotal qu'un continent aussi disparate ne se mette plus sur la gueule depuis aussi longtemps. Ce qui trouble quand même leur naturel. Perclus de rhumatismes et de bonnes intentions ils découvrent alors une entité vide, l'Union Européenne (qui a d'ailleurs tellement changé de nom que je ne connais même plus son prénom) responsable de cet antibellicisme primaire : la guerre ne s'appliquant qu'au droit des nations, on peut aussi souligner que le droit individuel de trucider son voisin n'a en rien été déclassé. La cataracte n'améliorant pas la longueur de vue, ils ne virent donc pas que dans cette entité vide il y avait pas mal de gens ; à peine 300 millions. Et aucune institution franchement représentative.

En attribuant le PRIX NOBEL DE LA PAIX à une enveloppe qui n'existe pas, ils reconnurent donc l'existence des enveloppés : nous. Ils nous reconnurent le droit d'aller prononcer un discours à Stockolm. Est-ce l'envie de développer le tourisme en Suède ? Le désir de concurrencer les Jeux Olympiques de Londres ? L'inconséquence inhérente aux grabataires ? Nul ne sait.

Les idées de génie naissent souvent dans le pot de l'imbécillité.

Nobel en savait quelque chose, lui qui n'avait pas inventé la poudre. Car cette Europe qui, paraît-il, nous empêche de tout, décide pour nous et noie nos fromages qui puent dans la Javel, et surtout nous retire la parole, faisant de nous des suiveurs muets, isolés, déracinés sur leur propre sol, des idolâtres de toutes les extrêmes droites pour se réfugier dans l'identité la plus débile... ; cette Europe donc, voici que par la magie de sa non-existence et la bienveillance de suédois repentis, va rendre la parole à chacun. Car ce discours, il va falloir s'y coller, il va falloir que un par un on s'y mette tous, puisque ce prix ne peut être attribué qu'à chacun de nous. Il va falloir parler. Il est même important de pas se défiler. Voici pourquoi, comme disait Agatha Christie : Ce qu'on reproche à L'Union Européenne s'est de confisquer la démocratie. Certes, celle-ci est représentative, on a des portes paroles, mais il paraît que leur parole ne vaut rien dans l'Union Européenne. Comme celle-ci n'a pas de parole, les électeurs perdent franchement leur voix. Soit. Rien de telle pour renouveler un système en déconfiture que d'en remonter aux origines. C'est ce que font nos nobéliens : la démocratie grecque, directe, primitive, où chacun pouvait s'exprimer sur l'agora et botter les fesses à Socrate en termes plus ou moins choisis. La chose est lancée : on rend la paroles aux citoyens. Plus que ça, il n'y a même pas besoin d'être citoyen, il suffit d'être là, un membre, un gens. Et l'addition des gens, un par un, ça fait un peuple. Pas un groupe, pas une ethnie, pas un corpuscule. Une nouvelle définition sans doute. C'est ce qu'inventent nos cacochymes. Jusque là, un peuple, ce n'est guère qu'un agrégat géographique, une facilité de langage pour tribuns aphones. Par 300 millions de discours chaque gens va connaître les 299 999 999 autres. Ça fera un peuple : disparate, mal foutu, avec des beaux et des laids, sans parler des laides, mais où chacun a entendu une fois au moins ce que l'autre avait à dire. On n'y peut rien, c'est comme ça, on va se faire chier, mais c'est Nobel qui l'a dit.

Je propose donc qu'on commence le plus tôt possible. L'ordre de passage à la tribune se fera du plus vieux au plus jeune ; pour une raison pratique, c'est quand même les plus vieux qui risquent de claquer avant la fin des interventions ; et puis ça permettra aussi de faire participer ceux qui vont naître entre temps. Ce qui risque de donner, dans l'ordre des choses, des débuts du style arrrrrgllll qui bavent, et une fin en arrrrrrrrrrrrreuuuuuh qui bave. On ne peux pas demander à tout le monde d'avoir de grandes idées sur la paix, soyons démocrates !

Au cas où, cependant, la logique de la chose ait du mal à s'imposer, il serait peut être judicieux de préparer le coup. Ecrivez donc vos discours de prix nobélisés et envoyez-les nous, l'Embobineuse se fera un plaisir de les mettre en ligne.

LE PREFET