Ça me fait mal aux seins

La souffrance revient à la mode. Ça c'est pour dire qu'on se dope plus alors ça devient beaucoup plus difficile.
Il y a quelques temps, Serge Blanco évoquait la première Coupe du Monde en disant que les joueurs partageaient leur souffrance. Et leur peur. Et la peur d'avoir mal.
Oui bon. Parmi toutes les valeurs que le sport prétend véhiculer celle de la souffrance est la plus étrange. Je croyais qu'on faisait du sport pour se faire plaisir et comme je n'y trouve pas de plaisir je n'en fais pas. Voilà qu'on me dit que la souffrance fait partie du sport, qu'on la recherche, qu'on veut dépasser ses limites alors on se fait mal etc...
Je croyais qu'avoir mal n'était pas franchement le but de l'humanité. De tous temps l'homme (comme commence toute bonne dissertation) tente de pas avoir mal et de vivre le plus confortablement possible. Le cro-magnon invente le feu parce que le steak tartare est une horreur pour la digestion. Et de fil en aiguille il cherche à se simplifier la vie.
Mais le sportif veut se la compliquer.
Si je me souviens bien lorsque j'ai embrassé ce camion le jeu de Mikado que mes os se mirent à jouer ne me donna pas une affection particulière pour la souffrance ; je dirais même plus, mon génie du langage et de la citation m'inspira cette phrase immortelle : « Plus jamais ça ! »
Depuis, en bon homo sapiens sapiens j'évite tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la douleur.
La surenchère verbale des sportifs me laisse perplexe. Soit ils souffrent vraiment d'un mal extérieur, incompréhensible, affolant, vital, et ils sont fous ; soit ils prennent une douleur passagère pour de la souffrance, et là ils exagèrent beaucoup.
Qu'on se glorifie à peu de frais, car les mots ne coûtent rien, ne me dérange pas outre mesure ; au contraire, il faut bien savoir faire passer ses pets de l'esprit pour des traits de génie, sans quoi peu d'avocats, de journalistes ou de chroniqueurs gagneraient leur vie.
Mais qu'on mélange ainsi les mots finit par me rendre pointilleux. Qu'on essaie encore de me vendre que la gloire se paie et ne s'achète pas, qu'on me ressorte la valeur du travail et de sa peine dans un monde qui devrait passer aux 30 heures hebdomadaires me laisse pantois.
De la souffrance beaucoup ne se relèvent jamais. Dans la logique de simplification de la vie néandertalienne travailler moins et gagner plus coule de source ; l'ordre naturel est un désordre économique. Que les sportifs encensent ainsi l'homo economicus et petit bourgeois me fait de la peine.
Je préfère penser qu'ils se trompent de mots ; ils nous parlent en fait de ces petites douleurs qui augmentent le plaisir ; ils glorifient le plaisir en fait ; et nous donnent ainsi, comme un message codé, le pourquoi du comment leur activité est vraiment excitante.

leprefet@lembobineuse.biz

Des mirettes

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