Pensement

Ils sont tout cassés. Moi, quand je jouais avec mes petits soldats je jetais les tout cassés. Et je contemplais avec fierté les tout propres.
La cruauté puérile n'hésite pas à sacrifier les plus moches.
Sur le Tour de France on est entre adultes ; on ne rigole pas avec les principes. On ne méprise pas le petit soldat cassé, on lui laisse le temps de se réparer.
On le laisse souffrir à l'arrière du peloton et on mise sur l'heure probable de son abandon. On l'admire.
Je crois que chez les adultes on a besoin d'admiration. Je me souviens d'un coureur français, qui jouait le maillot jaune, et qui s'était cassé l'épaule dans la montagne. Il a couru encore deux étapes avec cette épaule cassée. Je suis devenu adulte en l'admirant.
Et puis, une bonne souffrance ça ragaillardit les passions. Le premier quidam avec qui vous sympathisez va d'abord vous parler des trucs qu'il aime, et très vite de ses souffrances. C'est pas trop intime une souffrance, on a tous eu mal au cul un jour ou l'autre.
Mais on existe beaucoup plus avec une blessure de guerre qu'avec une passion que, de toute façon, on n'a pas envie de partager. La passion ennuie, la douleur empathise.
Il règne donc dans le monde merveilleux des adultes la politique très particulière du caillou dans la godasse. La souffrance c'est ça, le truc en trop. Qui fait que d'un individu simple on devient un individu complexe, un être à tiroir, qui a quelque chose au plus profond de lui, un être intérieur.
Contador s'est cassé la figure, il a mal, il continue à pédaler et il va gagner le Tour. Le dopé magnifique est en train de nous faire un être intérieur ! S'il triomphe on saura définitivement que le coureur cycliste a une âme !
C'est très important d'avoir une âme, Armstrong par exemple n'en avait pas, c'est pour ça qu'on le déteste, il me fait penser à ce type qui a vendu son ombre et qui doit vivre caché. Il n'y avait pas d'ombre sur la route à côté d'Armstrong.
Parce que ce qu'on aime c'est l'âme. On s'en cherche tous une, on passe par le moi intérieur puis le moi profond. Le Tour de France c'est une plongée au cœur des corps pour trouver l'âme, alors évidemment il faut que ça fasse mal, il faut de la souffrance.
C'est très chirurgical l'âme.
Il y a des couches d'âmes qu'on cache sous des pansements. Il faut aller de plus en plus profond pour le trouver ce fameux moi profond, on en découvre toujours encore un en dessous, toujours plus loin.
Le coureur cycliste n'est pas ce qu'il paraît, il est beaucoup plus et en révélant ce plus on l'aimera.
Quand je pense que la révélation de l'âme passe par un cor au pied, je me demande dans quelles turpitudes chirurgicales il faut aller pour découvrir ces moi si profonds et si troublés par les couches qui s'y superposent comme des peaux de saucisson.
L'invention du moi profond nous laisse dans une perplexité infinie. Il y a des coureurs qui n'ont jamais pu montrer leurs blessures en de grandes occasions, ils resteront donc à jamais des coureurs cyclistes. Ce qu'ils ont toujours voulu être. Mais quel échec !

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Des mirettes

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