Jeu de nain

Nous sommes dans la période d'intersaison, dite du Mercato. C'est l'heure où les différents clubs de la planète s'achètent et se vendent des joueurs à prix d'or. Il y a différentes filières fort lucratives, où on achète pas cher pour revendre beaucoup plus, ce sont l'Amérique du Sud et l'Afrique. Ce commerce triangulaire permet à l'Europe de dominer le football mondial.
Comme vous voyez, l'analogie est trop forte. Je ne peux donc résister à vous parler des nains de jardin.
Le nain de jardin est noir. Il viendrait du moyen âge où, en Turquie, on utilisait des pygmées dans les mines, pour leur petite taille. On les affublait d'un bonnet pour les repérer en cas d'éboulis.
L'idée plut aux allemands qui dès le XVème siècle possédaient déjà des statuettes de nains noirs.
Au XIXème, devant l'incurie des ouvriers, on les incite à cultiver un lopin de terre. Pendant ce temps la petite bourgeoisie commence à décorer ses jardins avec des nains, personnages doublement réduits, symbole du carpe diem et de l'étroitesse, virulente protestation devant les visées expansives de Bismark.
Et puis dans les années cinquante, sous l'impulsion des concours jardinophiles et de la matière plastique, c'est l'explosion du nain de jardin, on en voit partout, on en vend des millions.
On n'insistera jamais assez sur le rôle du nain de jardin dans la reconnaissance d'une fierté populaire. Cet objet volé aux mamamouchis par les bourgeois, puis aux bourgeois par les ouvriers, est le symbole de la main mise d'une classe sociale sur son environnement.
En possédant le nain de jardin on gère un univers, on l'organise, on pose celui à la brouette à coté de celui à la pelle, parce qu'ils vont bien ensemble. On échange celui à la faucille avec le voisin communiste et on détruit par fierté celui au marteau.
Nos aspirations politiques, nos revendications, nos joies, nos enthousiasmes, nous pouvons les exprimer à volonté en disposant différentes mises en scène. C'est un art capable de concurrencer, sur 30m², les jardins de Versailles ; c'est, à l'instar de la « patte d'oie » la main mise d'un pouvoir sur le pays.
Bien sûr, le nain de jardin n'est qu'un produit du commerce, personne n'est dupe ; et il est tombé en désuétude. C'est qu'il a été remplacé par les petites statuettes footbalistiques que l'on voit de plus en plus petites, car de plus en plus haut, les stades étant de plus en plus grands.
Nous en organisons de même l'infinité des mises en scènes, puisque nous sommes tous sélectionneurs, et les progrès techniques dans le domaine du crampon en ont permis la multiplication industrielle.
Tout comme aux nains de jardin, nous leur donnons des noms, Simplet, Groucho, Zidane... et dès lors nous pouvons les regarder, la larme à l'œil, avec cette affection qu'on porte aux choses qui nous appartiennent, qu'on peut faire agir à notre guise, mais qui ont cependant, parfois, quelques petites imperfections.
Notre pouvoir est quasi absolu ; et dans ce quasi se glisse toute notre angoisse, notre joie, notre émotion et nos espoirs. Mais c'est encore nous qui vendons, achetons revendons, faisons une plus value... nous, ou presque.
Le peuple entier possède le monde à travers ces figurines, ces mini hommes que sont les footballeurs.
Oui, décidément, le nain de jardin et son avatar qu'est le joueur de foot sont bien le symbole de main mise du peuple sur son environnement : aucun.

Envoyez vos photos de nains de jardins à leprefet@lembobineuse.biz

Des mirettes

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