Roland Garros

Federer n'a pas battu Nadal. Et pourtant... Ce n'est pas faute de talent. Tout le monde sait qu'il en a tant qu'il invente le tennis, ce qu'il fit pendant un set. Il a aussi la rage de vaincre. Il l'a montré pendant un set. Et seize grand chelem. Mais il n'a pas battu Nadal.
On parle d'un ascendant psychologique. Le monde du sport est plein de phrases toutes faites et de concepts, et c'est pour ça qu'on l'aime.
J'aime le sport pour adhérer, le coeur léger, aux héros, aux valeurs phallocrates, à l'arrivisme, à la victoire et à la tragédie.
Le temps d'un match je fais partie du grand monde, de tous contre tous, et j'aime ça ; nous avons tous raison ensemble et nous humilions nos adversaires dans un grand bain d'ondes télévisées, et nous nous humilions tous les uns les autres, qui mon ennemi, moi son ennemi, lui moi, moi eux, elle, on se crache à la gueule, on s'étripe. J'aime participer à ça. À ce monde minimaliste.
Pour en revenir à Federer, je lui reproche de ne pas avoir gagné. J'ai mes valeurs sportives ! Mais s'il a perdu, et ça c'est inacceptable, c'est parce qu'il aime Nadal, il l'aime authentiquement, il l'aime d'amour ! Il n'a pu supporter de l'humilier, car il l'humiliait, le ridiculisait. Puis il a tout arrêté. Il l'a laissé vivre. Il l'a grandi. Et il a exposé tout cet amour en donnant soudain à l'autre de gentilles baballes sur lesquelles il pouvait exprimer toute sa force et, petit à petit, montrer sa surpuissance héroïque. Federer a refusé de déchoir le héros, il l'a reposé sur son piédestal.
Grâce qu'il ne fit pas à Djokovic, que par ailleurs il déteste.
Je vénère le sport comme j'aurais fait de dieu si j'avais eu la chance de croire en lui. Il n'y a rien de païen dans mon idolâtrie. Elle est chrétienne du plus profond des cieux.
Qu'il cède physiquement, moralement, je le conçois, mais par amour... Quid du minimalisme de mes émotions ? Qu'en a-t-il fait cet odieux Federer ? A-t-on jamais vu Scheherazade se mettre à aimer le sultan, cesser de lui raconter des sornettes et se laisser couper la tête ?
Car les histoire de Federer c'est ses victoires ou ses vraies défaites, le tennis quoi, et s'il sort de ses histoires, qu'on lui coupe la tête !
Voilà ce que je reproche à Federer, d'aimer Nadal et de ne pas m'aimer moi. On arrive à ça par lassitude. Il est un moment où on se laisse attraper par un sentiment hors de propos, on se met à aimer là où on devrait, au minimum, mépriser. C'est un oubli coupable.

Renvoyez la balle à leprefet@lembobineuse.biz.

Des mirettes

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