La Fable du Pigeon

Par Le Préfet, le jeudi 13 septembre 2012

Après la philosophie de rez-de-chaussée (qui est l'étage du concierge et non le bas étage qui doit être, je suppose, le premier) passons à la fable de rez-de-chaussée.

Dans la poussière d'une arrière cour sise derrière la loge du susdit concierge tentait de s'envoler un pigeon.

C'était une de ces bestioles des villes au col efflanqué et au plumage clairsemé, notamment sur son cou si pelé qu'on aurait dit celui d'un poulet. Il ne lui manquait plus que l'idée de s'envoler, chose qui s'imposait, car pour marcher il n'avait plus qu'une patte... quoiqu'il s'avéra bientôt que pour décoller aussi, il n'avait plus qu'une aile. À cette aile unique il fournissait autant d'énergie qu'il eût donné aux deux. Ses efforts, aussi louables qu'ils fussent, n'en demeuraient pas moins inutiles pour ce qui était leur but premier : l'envol restait cloué au sol, voire un peu plus bas. Par contre, pour ce qui était de tourner sur lui même ! Quel tourbillon ! Ça piaillait à qui mieux mieux là dedans, des plumes volaient et on y percevait cette subtile incompréhension qui, chez l'homme, mène rapidement à l'hystérie et à la bagarre. Chez le pigeon aussi, d'ailleurs, prouva la situation. C'est là qu'on trouva l'utilité de la patte manquante, puisque le moignon planté fit un merveilleux axe de rotation, autour duquel le pigeon gagna l'apparence, et la dignité, d'une toupie.

Et tandis que cette aile battante battait si bien la terre battue, le concierge, unique propriétaire de la courette, s'amena, alerté par l'émeute. D'un seul coup d'oeil le brave homme jaugea la situation et, lors que l'incompréhension du pigeon atteignait son paroxysme, sa compréhension à l'inverse atteignit le sien (de paroxysme). Ne faisant qu'un seul tour il fit demi-tour, puis revint muni d'une pelle de terrassier avec laquelle il aplatit aussitôt notre pigeon, chassant ainsi ses doutes, ses tergiversations et pour finir le pigeon lui-même, puisque la pelle servit aussitôt (derechef) à évacuer la bête maintenant plus plate qu'un 45 tours. Que n'avait-il des outils si sophistiqués qu'il ne pouvait s'en servir ? Le concierge lui montra qu'un outil bien simple pouvait faire double usage.

La morale de cette histoire tendrait à prouver que le niveau intellectuel du concierge est nettement plus élevé que celui du pigeon, on peut effectivement admettre que cela est possible. Si on se place du côté du pigeon on se dit aussitôt que c'est une question de point de vue. On ergote devant l'évidence. On se mettrait même à faire des manières.

Alors, aujourd'hui, quand j'appelle bien tendrement ma belle et douce, mon pigeon, je fais bien attention à la regarder d'un oeil stupide (c'est pas si dur au final) pour qu'elle s'arrête pas de tourner et que je puisse entretenir pour l'éternité cette irrépressible envie de lui mettre un coup de pelle sur la gueule, sans que jamais ça me monte vraiment au cerveau. Au revoir mes pigeons ! 

LE PREFET