Le visiteur du soir

Par Le Préfet, le lundi 27 février 2012

Il va venir ?

S'il vient pas je viens pas et pis si je suis pas là, il sera pas là non plus ? En tout cas je verrai pas; lui non plus. Ca restera un mystère pour nous. Avec un peu de chance on sera au même endroit au même instant et tout semblable qu'on est on fera tout pareil : on se verra ni l'un ni l'autre.

On se manquera comme un sale rendez-vous où aucun de nous n'a envie d'aller ; il a consommé son café à la même table que moi, il restait sa cuillère et un peu de mousse déposée sur le pourtour blanc de la tasse. Une trace sur son nez, car il a un grand nez; mais on ne s'est pas vu, on ne s'est rien dit, on a oublié d'être là. Ca a fait du bien de se rater; de s'imaginer pour une fois ne pas être au même endroit au même instant. On a pris nos distances; on a payé notre écot, des pièces sur la table, prises dans le marbre et les dorures de pacotille.

Il va venir poser sa machine à bruit ; il va fixer les fils, souder des trucs, poser cette chose tentaculaire qui a l'air d'être son cerveau déployé puis punaisé, séché, la grenouille éventrée dans le cours de biologie, la grenouille à faire vomir les filles.

Il y a deux Pierre GORDEEF. Dont un qui court dans tous les sens pour actionner ce cerveau qu'il a sorti de lui. Puis l'autre c'est sans doute moi qui le regarde. Il va venir.

On sera au moins trois puisqu'il vient à deux. Peut-être un de plus. Il n'est pas impossible qu'à force de l'attendre mes yeux s'égarent dans les fils, s'emprisonnent dans les soudures et me laissent un peu double. Il est bien possible que mon corps de grenouille s'agite et que d'autres corps de grenouille surgissent, par frottement des dédoublements, comme les étincelles d'une allumette. Ca commence à faire du monde à ce rendez-vous.

- Je ne coucherai jamais avec toi parce que tu es trop moche.

Il finira bien par y avoir une fille aussi.

- Je t'emmerde connasse.

Si on s'y prend bien elle finira par me foutre sur la gueule. Il y aura forcément quelqu'un pour la défendre, puis un ou deux autres dans mon camp; on saura plus d'où est partie l'insulte mais les négociations à coup de tatanes auront assez dégénérées pour que déjà plus personne n'y reconnaisse les siens.

Il y aura ceux qui cognent et ceux qui n'ont rien fait, souvent les mêmes d'ailleurs.

On sera une tripotée finalement. 

LE PREFET