Messieurs, Mesdames

Par Le Préfet, le jeudi 11 novembre 2010

Je sollicite de votre extrême bienveillance le bonheur d'un entretien qui, et croyez que tous mes espoirs vont en ce sens, apportera aux deux parties que nous sommes pleine et entière satisfaction dans la réalisation de leurs désirs contradictoires. En toute logique cependant, rien ne pourra empêcher un accord total et entier, tant mes désirs sont subalternes à mes besoins, pour la satisfaction desquels je suis prêt à toutes les génuflexions, toutes les couardises et autres gâteries d'ordre bucco suçatoires. 

M'inscrivant volontaire au bas de l'ordre vexatoire d'une échelle hiérarchique dont le premier barreau est aussi celui où on s'essuie les pieds, je vous prie de croire que ma volonté est immense de n'en avoir aucune, et que, malléable à souhait, je me plierai à toute contorsion apte à satisfaire le bien être de vos semelles. 

À bien y réfléchir la satisfactions de vos désirs ne saurait m'apporter de joie s'ils ne sont quelque peu pervers, c'est pourquoi, et pour une entière future frustration, il serait judicieux que vous vous en teniez à des perversités banales, afin que ma rage ne puisse exploser sur autre chose que du vent. Vous me priveriez ainsi du réconfort de la colère. 

Faites preuve de conformité, de tyrannie et d'ennui. Pensez que ce que je vous offre, c'est vous qui me l'offrez. Pensez que je suis là pour vous satisfaire et vous détester en silence. Pensez que vous êtes nobles et moi un laquais. Pensez que vous avez les droits d'un enfant roi et moi les devoirs d'un mauvais père. Pensez que l'inconnu doit déjà être connu, que la surprise est attendue, que l'attendu est acceptable, que le déjà vu est reconnaissable. Pensez que l'insulte n'est pas pour vous, mais abaisse celui qui la profère. 

Si je puis ainsi me permettre cette quémande, c'est que, depuis peu, j'ai de nouvelles chaussures. Pas n'importe lesquelles évidemment. Celles dont l'élégance toute british et le prix hors de prix font du va nu pieds que je suis l'égal des mannequins de magazines, mimant les plénipotentiaires de la City dans leur manoir nouveaux nobles lors de leurs week-end « gentlemen farmer » entre copains riches. 

Je les admire ces chaussures, je m'y mire, et je laisse la morsure du cuir entrer dans ma chair, piqure de rappel, que dans le monde des imbéciles, je suis le plus fat, le plus superficiel, le plus old fashion victime, le plus midinette. Alors je puis quémander aux cons d'être eux-mêmes, c'est-à-dire des cons en grappe, des foules lyncheuses de fraises Haribot, des publics intransigeant de niaiserie, des publics qui n'aiment que ce qui leur plaît. 

Ne venez surtout pas nombreux puisque vous êtes ainsi.

Je le dis sans haine ni colère, car, de contempler cette alliance du génie manufacturier et de l'élégance millénaire qu'est la chaussure anglaise, je me rends compte que l'indifférence que vous suscitiez en moi n'était ni vaine ni innocente.

Car oui, il y a plus d'évasion dans une paire de groles que dans vos commentaires, et le cuir de vachette me paraîtra toujours plus intrépide que vos regards de veaux. Et si par hasard il vous arrive de porter le même regard enamouré sur vos chaussures, je sais que vous ne retiendrez de cette réflexion que le plaisir de baisser les yeux, raison pour laquelle vous les garderez toujours baissés. 

Grâce à ces chaussure je puis donc vous haïr sans haine, vous inciter à continuer à me marcher gentiment sur la gueule, mais pas sur les pieds, oh non, s'il vous plaît !

LE PRÉFET