Pierre Citron

Par Le Préfet, le samedi 30 mai 2009

Citation du jour: «C'est flatteur d'être cité.»

Il y a des radeaux échoués dont la grâce éclipse la splendeur des larges épaves de galions gorgés d'or. C'est que l'or et ses rêves de splendeurs alourdit le navire, et qu'il faut une bien grosse tempête pour le faire tanguer, tandis que trois vaguelettes suffisent à faire danser les quelques planches du radeau. Et quand il danse c'est encore en hésitant, car le rocher sur lequel il dort freine ses envolées, si bien qu'il n'a plus, en fait de danse, qu'un oscillement fragile, auquel on n'est pas très sûr que sa carcasse puisse résister. C'est sa grâce que de pouvoir se briser sous une brise.

Il est des hommes dont le regard s'étire comme un interstice de planches, ça leur barre le visage, et le sourire qui s'en dégage n'est qu'une ligne de lèvres fines d'où ne peuvent s'échapper que des demi mots, des demi blagues, des interruptions silencieuses, comme des danses arrêtées. Ce n'est pas la timidité qui fait ça, mais la conscience qu'un simple souffle d'air sait changer le court des choses aussi bien qu'une tempête. Suspendus à l'air ces hommes portent la grâce d'un léger changement de saison, et quand d'autres ne s'émeuvent que des ouragans, ils frôlent le sol sur lequel, toujours, ils semblent s'affaler.

Tel est le peintre qui voyage dans nos murs. Son art est désuet, il le sait. Il sait faire tanguer son échouage, et dans notre bocal de ciment, laisser glisser des frémissements de vagues, des sourires à la pureté incomparable, parce qu'ils ne sont pas des sourires entiers, ils ne représentent rien et n'ont l'intention de rien. Ça n'est que ça la pureté, ne pas avoir l'intention de... ni faire rire, ni séduire. Et qui peut se targuer de rester pur ? Sinon un peintre qui a eu le sagesse de pratiquer un art désuet.

LE PREFET