Les cheveux en quatre

Ça fait combien un centième de seconde ? En distance. Sur un cent mètres. Dix secondes pour cent mètres. Une seconde équivaut donc à dix mètres. Un dixième de seconde à un mètre.
Alors un centième de seconde c'est dix centimètres ?
Donc quand Lemaître bat son record de trois centièmes il s'est doublé de trente centimètres.
Le record de Jesse Owens est de dix secondes deux dixièmes en dix-neuf-cent-trente-six. En neuf secondes quatre vingt douze Lemaître lui met vingt huit centièmes dans la vue, soit deux mètres quatre vingt. Sur deux cents mètres l'écart est en faveur de Owens dont la marque est à vingt seconde six dixièmes, que Lemaître n'a jamais attend, sauf ce week-end avec un vent trop fort. Usain Bolt qui passe sous les vingt secondes régulièrement le devance d'environ six mètres.
Owens serait difficilement champion du monde mais pourrait prétendre l'être de l'Europe pour peu qu'il fut européen.
En trois quarts de siècle les progrès sont indéniables. C'est même un jeu bien amusant que de convertir les secondes en centimètres : on voit mieux.
Un progrès de deux mètres quatre vingt est tout à fait impressionnant. Avec une ligne d'arrivée c'est même une humiliation pour le second. Six pas d'un homme qui marche. Une seule foulée pour Usain Bolt. Deux virgule huit pourcents d'un cent mètres. Ce qui ramené au taux d'inflation sur un siècle est proprement une régression économique.
Si on maintient l'affaire au temps, sans donc le visualiser, vingt huit centièmes sont imperceptibles.
Le sportif n'est donc pas un homme de progrès : soit il régresse, soit il faut de savantes images pour voir son évolution.
Ces remarques m'amènent à une conclusion : si je n'avais pas utilisé les chiffres je n'aurais pas pu écrire cet article.
Me promenant dans la rue dernièrement, pratiquant l'activité de m'assoir à une terrasse de café tout en laissant trainer mes yeux et mes oreilles, j'avais une idée du farniente et du plaisir qui réjouissait mes vieux jours.
Hélas, mon regard plutôt que d'être attiré par les jolies filles l'était par les vitrines ; et mes oreilles plutôt que par le chant des Harleys par les conversations des attablés farnientant. Les vitrines étaient emplies de placards annonçant des pourcentages de toutes sortes, c'était les solde ; un jeune flic assassinait un camarade en lui détaillant son compte en banque par le menu, passant des primes de fin d'année au prix de son automobile neuve payée à crédit en mensualités de quatre cent vingt deux euros.
L'absence d'une loi devenait criante. L'interdiction de prononcer ou d'écrire des chiffres dans un lieu public devrait être instituée depuis bien longtemps. Il y a des mesures de salubrité publique que parfois on oublie de prendre ; les gouvernements ont tant à faire.
Évidemment la plupart des articles sportifs seraient interdits et celui-ci en premier ; mais cela empêcherait également une infinité de conversations et bien des gens seraient réduits au silence.
Imaginez un tel monde. Si vous ajoutez à l'interdiction le mot « euro », il n'y aurait plus aucune salive gaspillée. Oh oui, quatre vingt dix pourcents des gens devraient fermer leur gueule ; moi y compris, quel soulagement.
On vivrait comme des poissons ; on se ferait la bise ; puis des bulles de chewing gum pour passer le temps. Et les athlètes continueraient à courir sans qu'on n'ait plus rien à dire d'eux.

Comptez les secondes avec leprefet@lembobineuse.biz

Des mirettes

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