Il pleut sur Nantes

Ah les salauds ! Ils ont tout fait dans mon dos !
Je vous le dis les coureurs cyclistes sont des perfides. Andy Schleck en particulier. Lui qui n'a jamais attaqué de sa vie il le fait le jour où je ne peux pas regarder l'étape !
Et tout est dépeuplé... Trois semaines de Tour de France alors que, objectivement, le cyclisme est le cadet de mes soucis et plus rien n'existe en dehors du vélo.
Le silence est partout, il n'y a que ce bruit si doux des roulements à billes, les pneus accrochant le bitume et le souffle court des hommes dans la montagne : que ce bruit que moi j'entends car je coupe le son de la télé. Le monde du silence c'est un poisson qui pédale.
Essayez. Profiter du Tour de France c'est couper le son. Alors, à chaque instant l'asphalte bruisse dans vos veines et quand l'après-midi vous les savez suant sur les pentes du Galibier, plus tellement besoin de les regarder ; un coup d'œil à la montre, la route transpire et le goudron fond un peu, cette odeur de pneu cramoisi, ça part, ça attaque, la journée est habitée.
Andy tu as fais ça dans mon dos mais je te suivais et tu ne le savais pas ; il y a des suceurs de roue dans le peloton, une fois, une fois seulement tu t'es débarrassé de Evans, mais de moi, jamais. Sur ton porte bagage il y avait lui, mais moi je te poussais, j'avais de la route une idée si sûre, te dépassant je te tirais.
Le Tour de France ne se regarde pas ; à quoi bon ?
Il est là.
C'est la seule chose qu'on demande au sport : de savoir habiter le quotidien, d'en donner une autre version, un miroir qu'on promène à côté de nous sur les chemins comme dirait Stendhal.
Cette version est juste celle du bonheur car rien ne nous atteint vraiment et seul le bien nous touche.
La défaite de notre favori s'oublie puisqu'il gagnera la prochaine fois ; sa victoire est éternelle.
Ça nous accompagne et ce n'est pas un reflet de la vie et ça n'enseigne rien. Cherchez une morale là dedans, je vous souhaite bien du bonheur si vous aimez dire tout et le contraire qui va avec.
Le sport est une morale à effet nul ; c'est l'au-delà du mur, l'étrange partie de compagnonnage où notre solitude se perd.
Maintenant que le Tour de France se tourne je me sens comme un petit vieux zappant sur son fauteuil, contemplant des écrans de neige, pleurant ma cataracte une dernière fois. Je m'enfonce sous une couverture à carreaux. Je regarde mon père qui n'a jamais eu le courage de me tenir la main et je ne bouge pas d'un cil.
Andy Schleck pédale dans mon dos et savoure sa défaite dans l'euphorie d'une flamboyante victoire dans les Alpes.

leprefet@lembobineuse.biz

Des mirettes

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