FEMMES, VAMPIRES & PAYS DES MERVEILLES

A PROPOS DE LA VALLEE DES POUPEES Anne Welles (Barbara Perkins) quitte sa famille et son fiancé dans une petite ville de Nouvelle-Angleterre pour découvrir New York. Elle y devient secrétaire d'un avocat spécialisé dans le théâtre. Elle fait la connaissance de deux autres jeunes femmes qui prévoient de faire carrière dans le monde du spectacle : l'ambitieuse et prometteuse Neelly O'Hara (Patty Duke) et la très belle mais peu talentueuse Jennifer North (Sharon Tate). Neely démarre sa carrière de manière fulgurante mais ne tarde pas à se laisser prescrire trop de médicaments (pour dormir, pour être éveillée, ...). Son addiction ruinera ses deux mariages mais aussi sa vie professionnelle. Après une cure, elle tente un retour à Broadway mais l'alcool et les drogues seront les plus fortes. Jennifer se marie avec Tony, un chanteur qui veut devenir acteur et qui s'avère atteint d'une maladie dégénérative, forçant sa jeune épouse à trouver un moyen de payer pour ses soins. Partie tourner des films sensuels en Europe, elle met fin à ses jours lorsqu'elle doit subir une mastectomie qui la prive du seul bien qu'elle pense posséder, son corps. Enfin, Anne devient mannequin par hasard et vit des histoires d'amour décevantes qui la conduiront à retourner vivre dans sa ville natale.

La vallée des ppopées est aussi connu sous les noms La Vallée des Débauches, La Grande Trique, Orgissimo et Hollywood Vixens En 1967, la 20th Century Fox produit Valley Of The Dolls, une adaptation du "best seller" de la romancière Jacqueline Susan (qui était également actrice, chanteuse et auteur de pièces) inspirée en partie de sa vie privée à scandale, qui sera également la base d'un téléfilm en 1981, Jacqueline Susann's Valley of the Dolls (1981). Décrivant sur un ton très sérieux les moeurs décadentes de la jeunesse de l'époque, cette adaptation un peu édulcorée du roman (qui aurait sûrement écopé d'une sévère interdiction si elle avait été 100% fidèle) cartonna au box-office. La Fox décide donc de réitérer ce succès 3 ans plus tard lorsque leurs finances sont au plus bas, en faisant appel à Russ Meyer, un réalisateur " hot ", spécialiste des « nudies » et autres séries B d’action érotiques cultes (Faster Pussycat Kill ! Kill !) à petit budget, et surtout dont les films n'ont jamais perdu un sou.


Cette version de la vallée des poupées est franchement plus délirante que celle de Mark Robson. En effet, Russ Meyer ne se fait pas prier pour exposer son univers débridé de stipteaseuses à peine comédiennes et de personnages haut en couleur. L'histoire du roman de Jacqueline Susann lui fournit un terrain particulièrement adapté à son cinéma puisqu'on suit le parcours de trois jeunes filles - interprétées par Dolly Read (Kelly MacNamara), Cynthia Myers (Casey Anderson), Marcia McBroom (Petronella Danforth) - réunies dans un groupe de rock en quête de réussite dans le show business. Elles rentrent en relation avec Ronnie "Z-Man" Barzell interprété par L'étonnant John Lazar, un producteur de musique dont le personnage est inspiré du célèbre producteur Phil Spector et qui s'avère vraiment atteint ce qui prend une signification toute particulière depuis que Phil Spector est entre les mains de la justice américaine pour meurtre. Le producteur est une espèce de grande folle dissimulée sous une identité plus conventionnelle mais dans la réalité il s'avère être un vrai psychopathe. Il affectionne les soirées débridées où on danse nu et consomme toute sorte de substance illicites, mais organise également des jeux de rôle durant lesquels il se complait à être une sorte de maîtresse dominatrice ce qui le conduira à exercer le pouvoir de son rôle sur les personnes qui l'entourent. A la fin du film, il pète les plombs et révèle une poitrine féminine dissimulée sous un costume de roi juste avant de décapiter à l'épée le lutteur Lance Rocke interprété par Michael Blodgett qui se refuse à lui alors même qu'il est ligoté comme un ver et à sa merci. Si ça c'est pas du Russ Meyer.


Un casting d'enfer.

Dans ce film on ne peut manquer de remarquer la présence de nombreux talents qui se retrouveront plus tard dans d'autres productions marquantes. On ne peut oublier Erica Gavin qui a une présence et un sex-appeal comparable à celui de l'actrice Laure Elena Harring brune de mullholand drive et Haiji qui sera présente encore dans Faster Pussycat Kill ! Kill ! et dans la parodie de super héros Double-D Avenger de Troma Production ou encore Edy williams la vamp débridée et dévoreuse d'homme. Il faut également noter la présence de Pam Grier, la panthère noire de Harlem que les plus jeunes resitueront mieux si on leur parle de la belle femme noire du film Jackie Brown.

Verdict.

Un film qui tranche nettement avec la première adaptation du roman the valley of the dolls et qui est plutôt étonnant. Ici on regrette que cette édition soit aussi dégraissée car la filmographie de Russ Meyer est riche et son cinéma suffisamment hallucinant pour fournir des bonus appréciables. Autre point important : une telle édition se doit d'être irréprochable sur la qualité technique mais on constate un petit décrochage de la piste audio française au profit de la piste anglaise à la 11ème minute. Cela n'entraîne pas de gros désagrément mais reste un point noir sur cette édition.



A PROPOS D'ANAMZEKYN ANAMZEKYN est un concept qui prit jour en 2000 sous le nom de Zùma, Zùma Anamrem, YNSAKAB et enfin sous le nom jusqu'alors définitif d'ANAMZEKYN.

Sous cette identité se trouve une musique expérimentale (rock progressif, free rock/jazz, musique improvisée, incantatoire, planante, classique) née d'un travail sur le cycle. Elle est une musique répétitive aux dynamiques variables et possède son propre langage.

Les morceaux traitent de thèmes divers (la discipline, le dilemme, l'espoir, ...) qui seront les influences premières pour la composition. Celle-ci commence par la mélodie générale effectuée par le piano ou la guitare et qui, par son caractère immuable, garde l'identité originelle de chaque morceau où les boucles se succèdent et se chevauchent. Le second temps de la composition s'opère par les arrangements basés sur l'improvisation. Les dits arrangements habillent chaque morceau de couleurs différentes effectués pour les enregistrements par divers instruments tels que divers claviers, basse, guitare, flûtes, voix et bruits.

ANAMZEKYN est une musique illustratrice qui prétend être perçu par l'auditeur par le simple vecteur de l'ambiance ressentie, positive ou négative et n'a d'autre velléité que de toucher l'auditeur par une émotion et non par un message direct.



A PROPOS DE VAMPYROS LESBOS Vampyros Lesbos de Jess Franco : voyeurisme baroque.

Introduction.

A l’instar de ses compatriotes Luis Buñuel et Pedro Almodovar, le cinéaste Jess Franco a fait exploser les frontières géographiques et artistiques de son pays en créant un cinéma subversif à l’ère de l’Espagne franquiste. Utiliser des thématiques reliées à l’horreur et à l’exploitation de la sexualité devient pour plusieurs cinéastes espagnols, dont Franco, la meilleure façon de manifester leur désaccord avec le régime politique de leur époque. Toutefois, au-delà de l’aspect strictement politique, le cinéma de Franco est un univers cinéphilique. Dans cette œuvre réalisée en 1970, Franco bafoue les codes des genres filmiques et les règles esthétiques tout en les imprégnant d’un affect bien singulier. Nous verrons d’abord qu’en mariant des éléments appartenant à la « grande culture », c’est-à-dire la culture institutionnalisée et associée « au bon goût » et aux genres moins reconnus pour leurs valeurs artistiques (l’horreur et la pornographie), le cinéaste érige sa propre histoire du cinéma. En effet, il compose des images qui s’accommodent avec une complaisance ironique aux différents plaisirs, qu’ils soient esthétiques, sexuels ou intellectuels. Ensuite, il faudra voir le rapport qu’entretient Vampyros Lesbos avec les « body genres » conceptualisés par Linda Williams. Ainsi, nous pourrons comprendre davantage la place qu’occupe la femme dans l’univers de Jess Franco. I) Genres et « Body genres ».

Vampyros Lesbos reprend les nombreuses conventions du film d’horreur, plus précisément du film de vampires, dont Dracula forme la figure de proue. Une esthétique baroque et des éclairages chauds et rougeoyants, rappelant l’univers étrange et fascinant de Dario Argento,installent d’emblée une atmosphère menaçante et sensuelle où la mort et le sexe s’interpellent constamment. L’usage excessif de couleurs saturées, notamment le rouge, dans les décors tels que le divan, les voiles passant devant la caméra, les candélabres et les escaliers en colimaçon, trahit une connaissance aigüe des codes du genre gothique et du film de vampires. De plus, la comtesse Nadine Carody, la veuve du Comte Dracula, est toujours vêtue de rouge et de noir. La chevelure et les yeux sont foncés, tandis que ses deux victimes, Linda et la femme internée dans la clinique psychiatrique, semblent aussi blanches et blondes que leur tenue immaculée. Les trois couleurs de l’éros sont donc réunies : rouge, noir et blanc.

Autre constituant du film de vampires : la figure du médecin expérimentateur qui, en l’occurrence, soigne les femmes revenues de l’île où habite la comtesse. Pour renforcer ce cliché culte, il possède sa propre clinique psychiatrique et il s’intéresse à l’univers des vampires de manière ambiguë, pathologique, voire romantique. Véritable personnage mythique présent dans toutes les versions littéraires et filmiques de Dracula (jusqu’à celle de Coppola dans laquelle il est interprété par Anthony Hopkins), le docteur Van Helsing caractérise un syndrome : le désir d’immortalité et l’attirance morbide pour l’autre monde. Alors qu’il rencontre enfin la comtesse, il s’écrie : « I want to be one of you ! ». Mais cette dernière le fait assassiner aussitôt par Morpho, son serviteur muet. Cette présence des conventions génériques de l’horreur crée des liens intertextuels non seulement avec l’œuvre originale de Bram Stoker, mais encore avec la version cinématographique de Tod Browning réalisée en 1931. D’une part, Franco connaît et utilise les règles du genre ; d’autre part, il en transgresse les codes narratifs. Le château du Comte Dracula est remplacé par la villa de la Comtesse vampire. Les araignées et autres insectes de Browning se transforment en scorpion et en papillon. Tous les rites relatifs à la pleine lune et à la tombée de la nuit sont évacués, puisque l’action a lieu à proximité de la mer, sous un soleil éclatant et dans les décors exotiques de la Turquie. Cette lecture intertextuelle s’étend à la plupart des autres films de Franco créés, à quelques différences près, à partir des mêmes références génériques.

L’excès sexuel et la mort imprègnent l’univers onirique et décadent du réalisateur, « central concerns around which Franco spins his unhealthy confections ». Ses films font ainsi figure de variations sur un même thème, d’autant plus qu’il les reprend pour en faire des « remakes ». A cet égard, non seulement se réfère-t-il à des œuvres antérieures, mais Vampyros Lesbos renferme aussi un haut niveau d’autoréférentialité, rehaussé par les brèves apparitions du cinéaste dans des rôles secondaires, celles-ci attisant sans doute la ferveur des fans qui se plaisent à retrouver Franco, tantôt en joueur de saxophone dans un bar, tantôt en fou du village agresseur de femmes. D’une manière propre aux œuvres dites cultes, le spectateur se perd dans un cercle référentiel infini où la réalité n’a plus sa place : « They [Midnight Sex-horror movies cineastes] are self-reflexive in their use of and allusions to both film history and film theory. » On ne s’étonnera donc pas de découvrir une autre forme d’intertextualité dans la filmographie impressionnante de Franco, à savoir la parodie de « soaps » américains tels que Dynasty et Falcon Crest. Ces productions sont converties par le cinéaste iconoclaste en excursions pornographiques. Bien qu’il ne soit pas assez explicite pour être associé au genre pornographique, Vampyros Lesbos flirte avec un érotisme subversif offrant un spectacle voyeuriste de corps féminins dénudés.

La caméra s’attarde sur les scènes récurrentes d’amour lesbien entre la comtesse et Linda. De même, le réalisateur se concentre à plaisir sur la danse érotique qui commence et termine le film. Franco glisse sa caméra sur les corps et bien qu’aucune relation sexuelle complète ne soit jamais filmée, une tension érotisante et constante sature l’atmosphère des scènes qui réunissent les deux femmes. La mise en spectacle des corps et l’exacerbation des pulsions sexuelles et mortifères montrent que Vampyros Lesbos verse dans l’excès propre aux « body genres ». Et même s’il se dérobe à cette catégorisation trop facile, son titre semble choisi de manière intentionnelle pour sa commercialisation sur le marché de la « sexploitation ». Tels que définis par Linda Williams dans son article « Films Bodies : Gender, Genre and Excess », les « body genres » se répartissent en trois catégories : l’horreur, le mélodrame et la pornographie.

Qu’il exhibe la violence, l’émotion ou la sexualité, ce film dévoile « the spectacle of a body caught in the grip of intense sensation or emotion » et vise à provoquer un effet relevant de la mimesis. Ainsi, le film d’horreur cherche à effrayer le spectateur, le mélodrame à l’émouvoir et le film pornographique à l’exciter. Bien que Vampyros Lesbos propose une représentation insistante et excessive du corps nu et bien que celui-ci se trouve toujours dans un état de désir ou d’objet désiré, une distance esthétique l’empêche de sombrer dans « the Realm of the Gross ». Le spectateur qui le visionne pour s’émoustiller restera sur sa faim. On ne lui en donne pas assez, sans parler du rythme lent et des nombreux effets de style qui auront tôt fait de lasser celui qui n’a pas de curiosité pour le langage cinématographique ou l’art en général. Il en va de même pour les emprunts au genre de l’horreur qui agissent moins sur les sens du spectateur qu’ils n’interpellent sa culture intertextuelle. De fait, on trouve peu de violence et peu de « gore » dans ce film paradoxalement réalisé par un maître de l’horreur espagnol (The Awful Dr Orloff en 1962). Vampyros Lesbos n’entraîne ni une réaction viscérale, ni une réponse directe et physique chez le spectateur. Cette production ne peut donc être totalement assimilée aux « body genres ».


Sur la corde raide.

Cette distance esthétique résulte, en partie, d’un métissage complexe d’éléments hétérogènes qui appartiennent à ce que Joan Hawkins nomme « the low culture » et « the high culture » dans son ouvrage Cutting Edge : Art-horror and the Horrific Avant-garde. Franco affirme que la médiocrité des films pornographiques tient au manque d’ambitions esthétiques de leurs réalisateurs : sa visée artistique diffère de la leur, le film porno étant avant tout une industrie pécuniaire. D’un côté, Vampyros Lesbos ne peut être légitimé par l’institution en raison même de sa représentation insistante et plus ou moins gratuite du corps humain. Le réalisateur espagnol choisit d’exhiber une sexualité morbide dans l’ensemble de son œuvre. Citons à titre d’exemple : Tender and Perverse Emmanuelle, Sadomania, How to Seduce a Virgin, Les Nonnes en folie et Trois Vicieuses sur une île. Franco s’engage sur le terrain de la subculture et situe son œuvre à l’orée de la pornographie. Sans compter que sa production de la fin des années 1970 et début des années 1980 est fortement liée à l’exploitation de la sexualité (« sexploitation »). La pornographie étant considérée comme le genre cinématographique le plus dépravé, bien que sa consommation soit en progression, ses films appartiendraient donc à une forme de culture non sacralisée, dont le « bon goût » serait discutable et la portée intellectuelle et esthétique, défaillante. Pourtant, Vampyros Lesbos ne partage pas les intentions manipulatrices des « body genres », d’autant moins qu’il affiche clairement des ambitions esthétiques.

En effet, et en dépit d’un budget ténu, la richesse et la fertilité des choix formels lui confèrent une valeur artistique incontestable. Plusieurs éléments stylistiques, dont le choix de la musique et l’utilisation répétée du zoom, participent d’une démarche singulière et novatrice. Cette dernière le rapproche du film d’auteur et le distancie d’un cinéma destiné au grand public. Sur ce plan, une connaissance approfondie de l’œuvre s’avère nécessaire pour la reconnaissance des schèmes propres à l’univers esthétique de Franco. Comme d’autres le feraient avec un Fellini ou un Godard, Tim Lucas prétend que l’on ne peut apprécier un film de Franco sans en avoir visionné plusieurs : « If I’ve learned anything from watching 90 Franco films [...], it’s that these movies cannot be watched in the same way one might view any comparable English-language releases. With the film of Richard Donner or John Badham [...], if you’re see one of their films, you’ve seen them all. With Franco’s films, it’s different : you can’t see one, if you haven’t seen them all. A degree of immersion is essential. » L’intérêt de l’œuvre se déploie et s’accroît au fil des visionnements, alors qu’on redécouvre chaque fois les obsessions du cinéaste, ainsi qu’une autoréflexivité ludique.

Tandis que le rythme, un peu lent pour un film érotique, berce le spectateur et l’emporte dans une atmosphère onirique et poétique, des plans magnifiques d’un bateau voguant sur la mer sous un ciel rose sont insérés. Des motifs visuels apparaissent constamment : des couchers de soleil polychromes, un cerf-volant battant au vent, du sang coulant sur une vitre, un papillon qui vole et des voiles colorés voltigeant. Ces figures s’entrelacent pour créer une esthétique baroque où les clichés, dont l’association symbolique reste simpliste, abondent. Ainsi, le scorpion que l’on aperçoit sur le sol à plusieurs reprises évoque la comtesse et son emprise mortifère sur Linda. Lorsque celle-ci assassine la comtesse, le scorpion meurt noyé dans la piscine.

La singularité de ces images réside davantage dans la façon dont elles s’enchaînent les unes aux autres que par leur contenu qui s’avère banal. De fait, les plans sont montés dans une logique surréaliste empruntant la structure du rêve et épousant parfaitement la diégèse. En effet, Linda ignore si ses rencontres avec la comtesse ont lieu dans la réalité ou dans le rêve. Son mari lui dira d’ailleurs à la fin, alors qu’elle vient d’abattre la comtesse, qu’elle n’a fait qu’un cauchemar. Cette structure narrative assez souple dénote une grande créativité, car elle confère au statut de l’œuvre une certaine ambiguïté entre baroquisme et pornographie. D’une part, la narration libre, parfois même inexistante, est souvent associée au cinéma d’art et d’essai, c’est-à-dire aux œuvres d’avant-gardes expérimentales, lesquelles sont bien souvent peu soucieuses de raconter une histoire au sens aristotélicien du terme. D’autre part, les réalisateurs de films pornographiques n’ont que faire de la plausibilité de leurs intrigues, car la valeur essentielle réside dans la multiplicité des scènes à caractère sexuel et exhibé. Ils ne s’embarrassent pas de notions telles que la progression dramatique et l’évolution psychologique des personnages. Par ailleurs, lorsque Linda Williams parle du mélodrame, elle évoque la circularité et la forme répétitive de sa trame narrative. Ainsi, Vampyros Lesbos ne peut être rangé ni du côté de l’art légitimé, ni du côté de la subculture.

En fait, Franco n’érige aucune frontière entre ses différentes sources d’inspiration : « [...] it draws equally from avant-garde and popular sources, and makes no cultural distinction between them ». Sa filmographie comprend des titres attestant sinon d’un intérêt pour la littérature, du moins d’une culture générale non négligeable. Jurant avec le cinéma d’exploitation auquel il est associé, des œuvres telles que La Chanson de Roland, Venus in Furs et Lettres d’amour d’une nonne portugaise montrent que le réalisateur n’exclut pas volontairement ses films d’une culture plus élitiste, contrairement à un John Waters qui n’avoue que dans son livre Guilty Pleasures son penchant pour les « arty films ».[14]Un titre comme L’Éventreur de Notre-Dame semble par ailleurs témoigner d’un désir de subvertir les grands classiques dans un esprit ludique. Dans cette perspective, aucun ouvrage sur Franco n’omet de mentionner sa « grande culture » et son amour pour le Septième Art, ce qui incite le spectateur à voir ses films au deuxième degré.

Surgissent alors des interrogations quant aux notions de style et d’amateurisme qui sont intimement liées à la reconnaissance d’une œuvre culte. La crudité technique est un point commun à plusieurs films cultes et elle ne découle pas nécessairement d’une pauvreté de moyens. Elle relève bien souvent d’une préférence esthétique associée à une certaine avant-garde américaine[15] préconisant l’idée selon laquelle une trop grande attention portée aux détails techniques et au léchage formel interfère avec le vrai et la spontanéité. Plusieurs particularités confèrent son originalité à Vampyros Lesbos du point de vue du langage cinématographique : elles peuvent aussi bien tenir de partis pris esthétiques que d’un faux manque de savoir-faire. Par exemple, lorsque la patiente de l’asile psychiatrique apparaît dans sa chambre, deux ombres se dessinent sur le mur ; manœuvre artistique qui peut illustrer l’état schizophrénique de la patiente ou l’inadvertance d’un caméraman trop occupé à zoomer sur son corps dénudé et contorsionné. L’activité herméneutique du spectateur connaissant la cinéphilie de Franco, ainsi que son intérêt marqué pour l’art et la culture, fait-elle voir des innovations formelles où ne se trouve que négligence ? Il semblerait que la particularité du cinéaste réside justement dans cette espèce de légèreté vis-à-vis du médium, le poussant à essayer tous les extrêmes dans un esprit de découverte et d’insouciance assumée.

La carrière de Franco comprend le meilleur et le pire, de véritables chefs-d’œuvre et d’irrécupérables navets. A l’intérieur d’un seul et même film se côtoient souvent le sublime et le grotesque et c’est à propos de Blue Rita que Tohill et Tombs diront : « it mixed scenes of supercharged sleazy invention with long, sluggish passages that reeked of boredom and lack of attention ».[16] Son besoin compulsif de réaliser et sa rapidité d’exécution influencent l’esthétique de son œuvre. C’est en ce sens que les notions de style et d’amateurisme deviennent indissociables. Néophyte hyperactif, Franco tourne de manière instinctive et obsessive : c’est d’ailleurs sa principale valeur artistique. Les faiblesses formelles qui en découlent sont un passage obligé pour accéder à la quintessence de son œuvre : « At their best, his films inspire a sense of wonder, at their worst, a feeling of exasperation and despair ». Il faut s’ouvrir à un certain mauvais goût pour accéder à toute sa richesse artistique, ce qui demande non seulement de l’entraînement, mais de la patience et de la passion de la part du spectateur. Un investissement affectif aussi considérable se rapproche beaucoup du culte et se distancie d’une culture populaire à laquelle le public ne participe pas toujours. Reconnaissable entre toutes, la signature de Franco ne peut se réduire à une opposition manichéenne entre marques de style et traces d’amateurisme. Celles-ci s’inscrivent de façon synonymique dans l’ensemble de son œuvre.

Voyeur et Jazzman.

Franco occulte les frontières entre culture populaire et cinéma d’avant-garde et alterne habilement entre le bon et le mauvais goût. En ce sens, Hawkins écrit : « In terms of cinematic style, they seem to draw equally from the dream-inflected imagery of surrealism, the non-Hollywood narrative tradition of European art cinema [...], the avant-garde traditions of Yvonne Rainer [...]. But They also borrow heavily from ‘low’ culture - erotic thrillers, horror, sci-fi and porn - and the adjectives most frequently used to describe their work are ‘dark’, ‘disturbing’, ‘intelligent’, ‘provocative’ and ‘quirky’ ». Même si cette définition des « Sex-horror Movies » caractérise parfaitement la réalisation de Franco, autant en ce qui a trait aux influences qu’aux épithètes employées, Vampyros Lesbos se démarque par ce qu’il convient d’appeler le voyeurisme. Caractéristique capitale de l’œuvre, cette perversion s’exprime surtout par une utilisation abusive et parfois obsessionnelle du zoom. Chaque nouveau plan devient prétexte au changement de focale, qu’il y ait un corps nu ou non. Franco alterne même entre les zooms in et les zooms out, et ce, à l’intérieur du même plan. A la fois agaçante et amusante, cette pratique outrancière et inhabituelle agit comme un regard indiscret qui capte tout d’un œil lointain, attentif et omniscient. Ce trait stylistique est appuyé par le positionnement de la caméra qui s’immisce dans les endroits interdits, intimes, voire insolites.

Ainsi, quantité de scènes ne nous parviennent qu’à travers des voiles, des vêtements (la cape de la comtesse, par exemple), des jambes de femme ou encore des mains qui cachent l’écran. Dans She Kills in Ecstasy, Franco filme les ébats des deux protagonistes féminins à travers un verre de vin rouge situé à l’avant-plan et qui, en plus de déformer l’image, bloque le regard importun. Ce plan traduit l’intention ludique du zoom, car le désir de tout voir, même ce qui ne nous est pas destiné, rappelle la curiosité impudique des enfants. De fait, la façon dont l’actrice pose son verre de vin devant la caméra trahit le jeu de Franco qui réalise ce plan dans l’unique but, semble-t-il, de s’amuser à « faire du cinéma ». A l’image de Morpho qui observe Linda et la comtesse se baignant nues dans la mer, la caméra pose donc un regard singulier et pénétrant. Mais l’humour et l’autodérision règnent sur un monde contaminé par les obsessions de son créateur.

Cette caméra indiscrète est souvent placée dans les endroits saugrenus, produisant une impression étrange et fantasque. Dans le cinéma classique, une règle veut que l’on positionne la caméra à un endroit où il serait possible d’observer. Certains plans perdent toute vraisemblance, car la caméra est placée sur le sol, par exemple, alors que les actrices se tiennent debout : on n’aperçoit que leurs jambes et leurs chaussures durant leur conversation. Par conséquent, le spectateur s’intéresse davantage à la valeur esthétique du plan qu’aux dialogues. L’utilisation du grand angle, ainsi que les plongées et contre-plongées très prononcées, participent à la création de perspectives inusitées. Elles sont frappantes par leur disproportion et leur difformité. Enfin, ce type de plan évoque l’esthétique « pulp » des bandes dessinées dans lesquelles le recours aux angles démesurées se pratique constamment.

Une dernière spécificité confère à Vampyros Lesbos et aux autres films de Franco une esthétique baroque et décalée créant une distorsion tout en pratiquant l’emphase. Elle repose sur l’utilisation systématique du jazz : « There’s only one thing more important than the sexual undertow in a Franco film, and that thing is jazz. » Tandis qu’elle est généralement appréciée par un public averti auquel on reconnaît souvent un niveau de culture plus élevé que le spectateur de films populaires, cette forme musicale possède une intensité particulière dans les réalisations de Franco. La souplesse contrôlée de la structure complexe du jazz apparaît partiellement dans son œuvre comme un recours à l’improvisation. Tohill et Tombs soutiennent d’ailleurs que les faiblesses de Franco s’apparentent à celles des grands musiciens : « Great jazz players can take familiar tunes and improvise around the basic chords and structure. Sometimes it comes out dull and clichéd, but if the mood is right it can be sheer aural inspiration. »

Grâce à cette structure davantage musicale que narrative, Vampyros Lesbos se tisse autour d’un mince fil diégétique. Débarrassés de la nécessité de raconter une histoire, le jazz et le cinéma servent selon Franco à transmettre une émotion : « If you try to inject a message into it the spontaneity and uniqueness were long gone. » Et si la musique jazz paraît souvent confuse et désorganisée aux oreilles néophytes, il en va de même pour ses films qui semblent malhabiles et décousus au premier abord. A l’instar d’un morceau de jazz, Vampyros Lesbos ne peut être apprécié à sa juste valeur dès le premier visionnement. C’est en acquérant une connaissance plus large du corpus et en se frottant à ses règles propres que l’on saisit sa logique. Nécessaire au culte, la répétition des visionnements est une porte d’entrée dans un monde qui n’étale ses beautés qu’aux plus fervents initiés.

Pièce d’anthologie culte.

Dans un excès et un manque de goût indéniables, Franco procède à différentes transgressions esthétiques et morales qui relèvent autant des prémisses artistiques des avant-gardes que d’un cinéma misant sur l’horreur et l’exploitation de la sexualité. Cette hybridité générique crée parfois des séquences d’une beauté hypnotique, condensant toute l’histoire du cinéma et comblant ainsi, paradoxalement, le spectateur amateur du deuxième degré. Conjuguant inventivité formelle et clichés cinématographiques, la scène de danse érotique ouvre et clôture Vampyros Lesbos. La comtesse se trouve sur une scène dans un bar avec Linda. Celle-ci est quasi ensorcelée. Partiellement dénudée, la comtesse conjugue une danse baroque et érotique avec cette femme ressemblant à un mannequin. La comtesse la fait bouger selon son désir, tandis que celle-ci se déplace avec des gestes saccadés. A la fin du film, la comtesse mord le cou et le sang jaillit comme à l’accoutumée.

La veuve de Dracula, danseuse « topless », joue avec un être de chair inerte et chosifié pour la séquence. De plus, une musique lascive, dont la valeur artistique s’avère supérieure à ce qu’on écoute habituellement dans les films pornographiques, contribue à créer un malaise chez le spectateur. La présence d’un candélabre évoque par ailleurs les conventions de l’horreur. Partie intégrante de l’ambiance sonore, une voix de radio masculine surgit à des moments saugrenus et agit tout au long du film comme un effet sonore décalé (voir le plan sur Linda qui se réveille nue dans la chambre de la comtesse). Cette voix incongrue se rapproche, par son aspect baroque et subversif, du cinéma expérimental. Mais si la scène de danse érotique relève de la boulimie cinéphilique d’un Franco au sommet de sa forme, il n’en demeure pas moins qu’elle lui permet de s’offrir un spectacle bien personnel : celui de sa muse. En effet, Soledad Miranda (la comtesse) a collaboré aux meilleures réalisations du cinéaste espagnol. Le regard voyeur de Franco sur son actrice exalte cette scène à la fois brute et raffinée, ambiguë et complexe. Il la rend anthologique et culte, effet décuplé par la mort précoce de l’actrice.

La Femme sadomasochiste.

La question de la place de la femme dans l’œuvre de Franco apparaît donc incontournable : « Are the orgasmic woman of pornography and the tortured woman of horror merely in the service of the sadistic male gaze ? » Si Vampyros Lesbos n’appartient pas aux « body genres » à proprement parler, le spectacle de la femme torturée et « hypersexualisée », pour ne pas dire « hypertextualisée », en constitue néanmoins le cœur. Il semble essentiel de s’y attarder et, à l’instar de Linda Williams, d’interroger cette idée prisée par la critique féministe selon laquelle « woman are the objectified victims of pornographic representations [and] the image of sexually ecstatic woman so important to the genre is a celebration of female victimization and a prelude to female victimization in real life ». Dans Vampyros Lesbos, le monstre-bourreau et la femme-victime, duo traditionnel de l’horreur, se voient substitués par deux femmes tour à tour bourreau et victime. L’homme n’intervient que dans des rôles aussi peu élaborés que secondaires, à commencer par le serviteur taciturne et dévoué de la comtesse. Morpho exécute les ordres sans broncher. Il va même jusqu’à se suicider lorsque Linda élimine la comtesse, ne manifestant aucune intention de s’en prendre à la meurtrière. L’amoureux de Linda, quant à lui, ne fait que la chercher durant tout le film. Il finira par la retrouver, mais il ne semble pas en mesure de lui apporter des émotions aussi intenses que les sensations lesbiennes qu’elle a connues.

Le rôle joué par Franco (concierge dans l’hôtel où Linda passe une nuit) est une autre victime, puisqu’il est délaissé par sa femme devenue folle, suite à l’ensorcellement de la comtesse. Il tente de brutaliser Linda, mais elle le manipule et réussit à l’abattre. Il passe donc du bourreau à la victime alors que Linda, victime potentielle, devient bourreau triomphant. Dans une autre scène, Morpho écoute la comtesse évoquer sa condition de vampire et son engouement pour Linda, tandis que l’amoureux de cette dernière la réconforte en lui faisant l’amour. Visiblement préoccupée par sa grisante aventure avec une femme, Linda accourt à sa rencontre dès que celle-ci l’appelle. Enfin, le psychanalyste auquel se confie Linda au début incarne le stéréotype même de l’homme qui ne comprend rien à l’univers féminin. Il dessine dans son cahier de notes durant les confidences de sa patiente et finit par lui dire, après lui avoir suggéré de se trouver un amant : « Many women are sexually frustrated. » Les propos du psychanalyste témoignent d’un réel manque de compréhension envers la femme et concluent à l’insuffisance masculine.

La victimisation de la femme ne résulte pas d’une domination masculine sadique. Au contraire, Williams affirme : « There is always a component of either power or pleasure for the woman victim. » Dans Vampyros Lesbos, les hommes n’exercent aucun pouvoir sur les femmes, qu’ils soient séducteurs ou destructeurs, alors que la comtesse et Linda se torturent dans une réciprocité parfaite. Elles sont toutes deux munies d’attributs féminins et masculins leur permettant de jouer le double rôle bourreau / victime. A l’image des personnages féminins de Vampyros Lesbos, l’identification du spectateur mâle procéderait d’une oscillation entre pôles masochiste et sadique, le premier associé au féminin et le deuxième au masculin.

Cette oscillation, nous dit Williams, est palpable dans tout film d’horreur, contrairement à ce que pensait la critique féministe. Le spectateur mâle s’identifie autant à la victime féminine torturée (pôle masochiste) qu’à son ultime victoire sur le monstre (pôle sadique). L’horreur et la pornographie proposeraient donc des personnages féminins aux propriétés bisexuelles, certes masochistes, mais aussi sadiques.[25] Cette conception s’applique sans doute aussi bien à Vampyros Lesbos, parce qu’il ne joue pas sur le terrain de la pornographie « hard core ». Celle-ci est peut-être davantage manichéenne dans sa représentation exhibée des deux sexes. Reste néanmoins le regard pervers d’un Franco voyeur et fasciné qui se pose sur la femme plus ou moins réifiée.



Conclusion.

Franco a choisi de travailler de façon indépendante et risquée, faisant de ses obsessions la matière première de ses films. Indomptable, il a préféré tourner avec peu de moyens plutôt que de consentir aux compromis des producteurs. Tandis que sa filmographie éclectique demeure inclassable, la diversité du bagage culturel et des intérêts de ses admirateurs interdit d’identifier ce qui constituerait un public cible. Jess Franco ne jouit donc pas d’une reconnaissance institutionnelle, et parce qu’elle chevauche deux milieux opposés, son œuvre reste dans une zone grise, lui conférant son statut culte. A l’opposé d’un David Lynch avec lequel il partage plusieurs similarités esthétiques, dramatiques et thématiques, Franco reste associé au cinéma d’exploitation. La publicité l’entourant (les bandes-annonces, les titres de ses films, ainsi que leur mise sur le marché de la « sexploitation ») insiste sur la sexualité explicite en occultant la valeur artistique de ses films. Ainsi, il est condamné injustement par le mépris des institutions bien-pensantes, contrairement à Alain Robbe-Grillet qui a aussi créé plusieurs œuvres sado-érotiques, mais qui reste couvert par son prestige littéraire. Son Eden et après accuse plusieurs ressemblances avec Vampyros Lesbos, entre autres par les décors pittoresques et exotiques de la Turquie. Les scènes sado-érotiques et le montage obéissent aussi à la structure du rêve. Toutefois, il ne faut pas remettre en question le statut d’œuvre d’art légitime de Franco ni celle de Robbe-Grillet. Sa conception baroque et voyeuriste rend Vampyros Lesbos fascinant à bien des égards et frotte le spectateur à ce qui pourrait être un érotisme subversif.

Elise Dion.

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